Pourquoi le suicide? Cette question lancinante interpelait sans doute de nombreux participants à la réunion organisée par la MSA de Franche-Comté à la demande de l’échelon local des élus de la MSA de Valdahon.
Jean-Jacques Laplante, médecin et responsable du pôle santé de la MSA de Franche-Comté, a prévenu d'entrée: «J'ai davantage de questions que de réponses». Depuis les années 2000, il travaille sur le sujet: on compte environ 13.000 suicides en France par an. Notre pays est au troisième rang européen après la Finlande et l'Autriche. Les trois quarts des décès sont masculins et les trois quarts des tentatives féminines. Certaines régions comme la Bretagne ou la Normandie sont davantage touchées.
«Aucune statistique ne prouve certainement pour l'instant que le métier d’agriculteur soit un facteur aggravant en matière de suicide, explique Jean-Jacques Laplante. En revanche, l'isolement, le célibat, le peu d'études, la petite taille de la commune, la faiblesse des revenus augmentent les risques. Et le milieu rural réunit plus souvent ces facteurs. Il y a 2,5 fois plus de suicides dans les petites communes qu'à Paris. Les agriculteurs ont tendance à choisir des moyens violents à portée de main: pendaison et fusil.»
Jean-Jacques Laplante dément une autre idée reçue: la dépression est responsable d'un tiers des suicides «seulement». Faut-il alors aller voir du côté du stress: «Ce n'est pas non plus la bonne réponse», selon le psychologue François Régis Lenoir. «Le suicide est un acte individuel en réponse à un état psychologique qui ne permet plus de donner sens à la vie à un instant donné, déclare-t-il. Le stress est un combat pour la vie, une réaction marquant la volonté de donner du sens. Le suicide marque l'arrêt de ce combat. Parfois, un stress extrême peut y mener. Mais il existe aussi beaucoup d'actes de suicide sans cause. En revanche, le changement, la crise identitaire, la crise des valeurs, des rôles sociaux, les pertes de valeurs, l'individualisme sont des terreaux favorables.»
Régis Aubry, responsable des soins palliatifs au CHU de Besançon, a approfondi la piste tracée par les deux premiers intervenants. «Le suicide, c'est à un moment précis la rupture de tout sens, analyse-t-il. La personne a perdu la capacité à éprouver du plaisir, y compris la perte du plaisir à parler. C'est l'isolement (qui n'est pas la solitude). On vit dans une société où ce qui fait valeur c'est la capacité à produire et non à être. Or l'homme est par essence quelqu'un qui a une valeur. Sinon pourquoi soigner tous ceux qui ne produisent plus?» François-Régis Lenoir poursuit: «Attention à la notion de performance. Plutôt que d'être le meilleur, mieux vaut demander à chacun de donner le meilleur de soi avec les moyens qu'il a.»
Jean-Jacques Laplante esquisse des pistes pour créer un terreau moins favorable aux gestes désespérés: «Travailler au mieux vivre, au dialogue, au plaisir de vivre ensemble.» François Régis Lenoir lui emboîte le pas: «Restons humbles mais essayons aussi de voir ce qui va bien, d'avoir un confident, quelqu'un à qui on parle vraiment, prenons de la distance et essayons d'être à l'écoute des autres, d'entendre ce qu'ils ont à dire.» Régis Aubry donne ce conseil face aux proches des personnes décédées: «A la mort s'ajoute la violence de cette mort, la culpabilité. Même si on n'a pas les réponses aux questions qu'ils se posent, nous avons un devoir de ''non-abandon'' des proches touchés, pour laisser les mots venir à celui qui veut les dire.»
Enfin, autre idée reçue: les tendances suicidaires ne sont pas héréditaires. En revanche, elles sont parfois «contagieuses», comme si un interdit familial ou de voisinage était levé par le premier suicide: «Certains des proches, parents, collègues, amis, ressentent à leur tour un non-sens de la vie. C'est pour cela qu'il faut rompre leur isolement.»
Loin du médico-médical qui a aussi sa place, la solidarité est une réponse à la souffrance des proches. Jean-Jacques Laplante a conclu en citant Michel Debout (1): «C'est parce qu'il y a trop de rendez-vous manqués entre les vivants que certains n'envisagent plus que la mort.»
(1) Michel Debout, professeur de médecine est co-auteur du livre: «Tabou brisé, parler du suicide.»