L'achat de terres agricoles à l'étranger est un marché en pleine expansion depuis quelques années, qui comporte des risques pour l'environnement et génère des tensions géopolitiques, selon des experts.
Premiers intéressés, les Chinois, Indiens, Coréens du Sud et les économies pétrolières du Golfe sont à la recherche de terres étrangères pour répondre à leurs besoins alimentaires croissants. Les pays occidentaux se sont, quant à eux, mis en quête de surfaces agricoles pour leurs biocarburants.
Selon le Land Matrix Project, une initiative internationale de surveillance des acquisitions importantes de terres étrangères, un total de 203 millions d'hectares (près de quatre fois la superficie de la France) sont passés sous contrôle d'étrangers entre 2000 et 2010, par des ventes ou locations de longue durée. Les deux tiers (66 %) des transferts concernaient l'Afrique, en particulier l'Ethiopie, le Libéria, le Mozambique et le Soudan. L'Asie comptait pour 14 %, mais les experts ont souligné l'opacité de ce marché.
Paul Mathieu, expert auprès de la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture), a observé une envolée des transactions en 2008-09, à la suite de la crise alimentaire mondiale. Depuis, les ventes ont un peu reculé, selon lui. Cependant, à long terme, la hausse attendue de la population (9,1 milliards d'humains prévus en 2050) et les besoins accrus en nourriture, ajoutés à la flambée des prix des carburants fossiles, contribueront à maintenir la demande de terres agricoles à un niveau élevé. « C'est une bombe qui peut exploser si on ne s'en occupe pas », prévient M. Mathieu.
En théorie, les transactions de terres agricoles peuvent constituer une chance, pour un pays pauvre avec une faible densité de population, d'acquérir des nouvelles technologies, des formations et des capitaux. Toutefois, de nombreuses enquêtes, bien qu'incomplètes, indiquent que ces investissements n'arrivent que très rarement. En revanche, le marché des terres est souvent entaché de corruption et entraîne des dégâts environnementaux.
La Banque mondiale a ainsi révélé, en 2010, que sur 14 pays ayant vendu des terres à des étrangers, l'exploitation agricole n'avait effectivement démarré que dans 21 % d'entre eux. Le quatrième rapport mondial des Nations unies sur l'eau, publié à la mi-mars, a averti que les régions en proie à la sécheresse en Afrique occidentale risquaient d'être victimes de l'engouement des pays industrialisés pour les agrocarburants, avec « des conséquences particulièrement dévastatrices ».
Pour produire un litre d'éthanol à partir de canne à sucre, il faut 18,4 litres d'eau. A ce rythme, les acquisitions de terres agricoles non surveillées conduiront les pays développés à tout simplement exporter « leur empreinte eau » pour produire des céréales et aliments à bas prix, avec des conséquences désastreuses pour les pays pauvres, estime l'expert suédois Anders Jaegerskog (Stockholm International Water Institute).
Pour la ministre sud-africaine de l'Agriculture, Tina Joemat-Pettersson, ce nouveau marché « n'est qu'une nouvelle forme de colonisation ». Elle cite le cas du sud du Soudan, où 40 % des terres ont été vendues à des investisseurs étrangers.
« Les acquisitions controversées de terres ont largement contribué à l'éclatement de guerres civiles au Soudan, au Libéria et au Sierra Leone et il y a toutes les raisons de s'inquiéter parce que les conditions sont mûres pour de nouveaux conflits dans de nombreuses autres régions », avertit Jeffrey Hatcher, de la coalition d'ONG (organisations non gouvernementales) américaines Rights and Resources Initiative.