« L'aspirateur, c'est la Chine » : l'appétit croissant de l'empire du Milieu pour le chêne français génère une guerre larvée entre les traders travaillant pour l'export et les scieries françaises, qui dénoncent une pénurie de matière première et une flambée des prix.
Les ventes de l'Office national des forêts (ONF) sont très courues par les professionnels de la filière bois et de l'export de grumes. C'est le cas ce jeudi matin 29 octobre à Velaine-en-Haye (Meurthe-et-Moselle), où une centaine de scieurs, négociants en bois, tonneliers et autres responsables d'entreprises de pompes funèbres tapotent fébrilement sur leurs calculatrices et leurs boîtiers électroniques : tous ne repartiront pas avec les quantités de grumes de chêne désirées.
Les prix sont élevés et la concurrence - souvent une quinzaine d'offres pour un seul lot - très rude. « On atteint facilement 120 ou 130 euros le m3 pour le chêne quand on était à la moitié pour les mêmes qualités il y a cinq ou six ans », remarque Nicolas Douzain, délégué général de la Fédération nationale du bois.
En sept ans les exportations françaises ont explosé, passant de 50.000 m3 de chêne à 580.000 m3 en 2014 : « l'aspirateur, c'est la Chine », explique-t-il. Très récemment, les Chinois ont encore acheté « jusqu'à 60 % du volume de chêne disponible dans le quart nord-est de la France », confirme Raymond Bach, de l'entreprise Chêne de l'est, qui fabrique des parquets massifs.
Paiement comptant
A l'origine de cet engouement, les restrictions à la coupe imposées dans les forêts chinoises après des décennies d'exploitation intensive, pour permettre à la ressource de se reconstituer. D'abord limitées aux forêts du nord-est de la Chine, elles doivent être largement étendues d'ici à 2017, ce qui accentue les besoins des industries de transformation chinoises.
Avec la première forêt de chênes d'Europe, la France est devenue un fournisseur d'autant plus précieux que l'Ukraine, autre grand réservoir de chênes, a rejoint récemment la liste des pays qui bannissent l'exportation de bois bruts. Les grumes françaises qui partent vers l'Asie lestent à peu de frais des porte-containers qui ont amené des biens manufacturés en Europe, avant d'y retourner sous forme de meubles ou de parquets. Le phénomène a provoqué la mise au chômage technique de nombreux scieurs français, assure Nicolas Douzain.
Les scieurs français accusent les Chinois de faire à la fois grimper les prix et fondre les volumes de chêne disponibles, alors que les quantités mises sur le marché par les propriétaires forestiers ont aussi diminué. Accusés de surenchère systématique, les négociants qui travaillent pour les Chinois seraient aussi de meilleurs payeurs, n'hésitant pas à régler comptant.
« Les paiements sont plus rapides à l'extérieur, les délais plus courts », reconnaît Dany Mangin, dont l'entreprise meusienne assure exporter 10 % des grumes qu'elle achète. Le quart nord-est de la France est particulièrement touché par le développement des exportations vers la Chine en raison de la proximité du port d'Anvers, par lequel des traders souvent originaires du Benelux font largement transiter les grumes.
Détruire l'outil de sciage ?
« En Lorraine, nous avons particulièrement souffert des traders. Dans notre entreprise, l'activité Scierie a diminué de 50 % », constate Bert Rutten, à la tête d'une scierie en Meurthe-et-Moselle. Derrière les inquiétudes des transformateurs filtre la peur que le chêne ne connaisse la même trajectoire que le hêtre.
Après avoir massivement importé du hêtre français dans les années 1990, la Chine lui a brusquement fermé la porte au début des années 2000. Comme un grand nombre de scieries de hêtre avaient mis la clé sous la porte, faute de pouvoir suivre la course à la matière première, le prix de ce bois s'est effondré.
« Les Chinois peuvent nous envoyer promener du jour au lendemain pour acheter du Tasmanian oak, qu'ils trouveront en Australie ou ailleurs », met en garde Pierre Grandadam, vice-président de la Fédération nationale des communes forestières. « Si, pour faire vivre les exploitants forestiers, on laisse filer notre chêne aux Chinois et on détruit notre outil de sciage, on n'a rien gagné et on n'a pas investi pour l'avenir », avertit-il.
Les négociants travaillant pour l'export se défendent en assurant acheter des bois que les scieurs français n'ont pas les moyens de valoriser. « Depuis cinq ans, les chênes de faible taille et de faible qualité partent en Chine et cela fait beaucoup de bien aux forêts parce que cela permet aux gros bois de pousser, dont les scieurs seront friands quand ils auront grossi », argumente David Roy, qui travaille pour la branche française du danois DSHwood. Il pointe des scieurs qui, « pendant des années, se sont gavés en ne payant pas le bois à sa vraie valeur parce qu'ils s'entendaient ou parce que le marché était local ».
Toutefois, pour Eric Marquette, ancien directeur bois pour la Lorraine de l'ONF, la concurrence entre traders et scieurs se renforce également pour les bois de belle qualité. « Avant, les scieurs français gardaient les beaux bois, ceux qui permettent de faire des tonneaux, des parquets de grande largeur mais, depuis un ou deux ans, les Chinois se sont de plus en plus positionnés sur les mêmes produits ».
Label « Transformation UE »
En septembre, le ministère de l'Agriculture a mis en place de nouvelles mesures, demandées à grand renfort de lobbying par les scieurs. Un label « Transformation UE » accorde aux acheteurs qui s'engagent à transformer leur bois dans l'Union européenne un accès privilégié aux chênes lors des ventes de l'ONF.
De nouvelles normes phytosanitaires, considérées par une bonne partie de la filière comme un simple moyen de mettre des bâtons dans les roues des exportateurs, sont également entrées en vigueur en novembre. Elles obligent à traiter les grumes destinées à l'export par fumigation dans un lieu clos, alors que les pulvérisations se déroulaient jusqu'à présent sur les tas de bois en bord de route. En colère, certains exportateurs reprochent à la charte du nouveau label de les lier pour la totalité de leurs achats de chêne. Parmi les mécontents figurent également... des scieurs qui pratiquent aussi la vente pour l'export, disant ne pas pouvoir vivre uniquement du sciage.
Pour contourner le label, certains n'hésitent pas à créer de nouvelles sociétés, labellisées, spécialisées dans la vente aux transformateurs français, tandis que leurs anciennes sociétés restent tournées vers l'export. A charge pour l'organisme de contrôle du label de vérifier que les bois achetés par l'une ne seront pas utilisés par l'autre...
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mardi 17 novembre 2015 - 11h08
Tant mieux pour les propriétaires forestiers qui jusqu'à maintenant se faisaient toujours avoir. De plus si les prix sont bons cela va motiver les exploitants forestiers qui s'occuperont, enfin de leurs bois et cvont chercher à valoriser lma ressource foresdtière; Quand aux négociants europééens, ils n'ont qu'à payer un peu plus et répercuter sur le produit final, et se mettre dans la tête qu'il faudra partager la marge qu'ils confisquiaient totalement jusqu'à maintenant.