Du Maroc à la Turquie, le Bassin méditerranéen serre les coudes pour sécuriser ses approvisionnements en céréales à travers le réseau d'information « Amin » sur les marchés internationaux, officiellement lancé jeudi à Alger par les ministres de l'Agriculture.
Ecosystèmes fragiles, démographie et urbanisation galopantes pour la plupart, les pays riverains du sud et de l'est de la Méditerranée sont particulièrement dépendants des importations de blé pour le pain, qui constitue en Egypte par exemple la base de l'alimentation.
« Moyen-Orient et Afrique du Nord, ensemble c'est 4 % de la population mondiale et 30 % des achats de céréales », relève Sébastien Abis, économiste et administrateur du Ciheam, le Centre international de hautes études agronomiques européennes qui organise la réunion ministérielle de ses 13 Etats membres à Alger.
Toute la région est, du fait des conditions climatiques, des faibles ressources en eau et de l'aridité des sols, « en situation d'hyperdépendance céréalière », insiste-t-il, avec 40 millions de tonnes (Mt) de blé importées chaque année. Selon les pays, 40 à 80 % des besoins sont couverts par les importations. Or, la population du pourtour méditerranéen, déjà proche des 500 millions de personnes, devrait encore augmenter d'un quart sur les rives sud et est d'ici à 2030.
Mais alors que cette dépendance s'accroît, la demande mondiale et la volatilité des cours aussi. D'où les espoirs placés dans ce réseau international « Med Amin » – pour Mediterranean Agricultural Markets Information Network – qui signifie aussi « confiance » en arabe et portera sur quatre denrées essentielles : blé, maïs, orge et riz.
« Une meilleure politique agricole et alimentaire » (Stéphane Le Foll)
« La spéculation prospère sur le manque d'information concernant les niveaux de production ou les stocks : plus on est transparent et en confiance, mieux on régule les marchés et on évite les bulles spéculatives et les flambées de prix. A l'échelle de la Méditerranée, c'est un atout pour une meilleure politique agricole et alimentaire », assure le ministre français de l'Agriculture, Stéphane Le Foll.
Initié à Malte en 2012 sur le modèle d'« Amis », le système d'information sur les marchés agricoles lancé par le G20 en 2011 pour parer les crises, Amin associe les Etats du Ciheam (Albanie, Algérie, Egypte, Espagne, France, Grèce, Italie, Liban, Malte, Maroc, Portugal, Tunisie et Turquie).
« La priorité, c'est de sécuriser les approvisionnements pour nourrir les villes et stabiliser la population rurale. Sinon, l'alternative c'est l'exode puis l'exil », résume le secrétaire général du Ciheam, Cosimo Lacirignola. L'agriculture emploie encore un actif sur cinq dans la région.
Évidemment, entre ces voisins parfois à couteaux tirés, la transparence des données jugées sensibles pour la survie de certains régimes ne va pas toujours de soi. Mais « la flambée des prix alimentaires rend de plus en plus difficile le maintien des subventions publiques sur la plupart des produits de base, dont les céréales. Il est donc essentiel de favoriser les échanges d'informations », reprend M. Lacirignola.
« Ce n'était pas gagné, c'est vrai », concède M. Le Foll, « mais on a réussi à mettre en place un climat de confiance : d'ailleurs, la présence annoncée jeudi à Alger du ministre marocain le prouve », avance-t-il.
« Un hectare de blé produit en France sur cinq est destiné à l'Algérie »
Au Maghreb, la consommation de pain représente 200 kg par an et par personne : « C'est deux fois plus que la moyenne européenne et trois fois la moyenne mondiale », souligne Sébastien Abis. « L'Egypte est le premier acheteur mondial de blé et le deuxième en céréales (après le Japon) : 10 à 11 Mt pour le blé, 16 à 17 Mt » en céréales.
La région accuse un déficit annuel de 70 Mt de céréales qui ne peut que s'amplifier, la consommation augmentant bien plus vite que la production. Mais les cahiers des charges varient d'un pays à l'autre, tout comme les acteurs du marché : 100 % publics (Algérie, Tunisie, Syrie), privés (Maroc) ou publics/privés (Egypte), ajoute-t-il.
Ce qui complique la perspective d'un « marché commun » et constitue un défi stratégique pour les fournisseurs qui s'y précipitent pourtant. Si « un hectare de blé produit en France sur cinq est destiné à l'Algérie », la mer Noire est devenue un grenier pour la région qui n'hésite pas à regarder plus loin encore : cette semaine, les Etats-Unis ont fourni trois bateaux de blé à l'Egypte dont le cahier des charges venait d'être modifié pour réclamer un taux d'humidité moindre.