(Article mis à jour à 18h00)
Pékin a répliqué, ce mercredi 5 juin 2013, aux taxes imposées par Bruxelles sur le solaire chinois en lançant une enquête antidumping sur les vins importés de l'Union européenne et en agitant le spectre d'une guerre commerciale.
« Le gouvernement chinois a lancé une procédure antidumping et antisubventions visant les vins de l'Union européenne », a indiqué le ministère chinois du Commerce, au lendemain de la décision de la Commission européenne d'instaurer des taxes provisoires sur le solaire chinois.
Quelques heures plus tôt, l'agence de presse officielle Chine-Nouvelle avait prévenu que les taxes « punitives » annoncées par l'UE n'étaient « pas susceptibles d'inciter à une réponse amicale de la Chine ». La décision de la Commission européenne risque de faire « dérailler » les relations commerciales entre la Chine et l'UE, a même mis en garde l'agence d'Etat.
Pékin a déjà, par le passé, pris des mesures visant des produits européens en réplique à des décisions européennes d'enquêtes ou de taxes visant des sociétés ou des produits chinois.
« Le conflit est assurément en train de dégénérer », a estimé Yao Wei, une économiste basée à Hong Kong pour la Société Générale, en insistant sur les « très fortes » surcapacités de certaines industries chinoises qui sont à l'origine, selon elle, des problèmes actuels.
L'UE est le principal partenaire commercial de la Chine tandis que, pour l'UE, la Chine arrive deuxième, derrière les Etats-Unis.
La Chine a représenté 11,4 % des exportations de vins de l'UE en 2012, pour une valeur de 763 millions d'euros, selon des chiffres fournis par la Commission. Avec les spiritueux, le montant annuel des exportations européennes vers la Chine dépasse 1 milliard d'euros.
Le premier exportateur européen vers la Chine est la France, avec 140 millions de litres de vin vendus en 2012, pour un montant de 788 millions d'euros, selon les douanes chinoises. Les principaux pays européens concernés sont la France (546 millions d'euros), l'Espagne (89 millions) et l'Italie (77 millions).
La Commission européenne a annoncé, le mardi 4 juin, l'instauration de taxes provisoires sur le solaire chinois, malgré les réticences de plusieurs Etats de l'UE et les craintes de représailles commerciales de Pékin.
L'exécutif européen a opté pour des mesures progressives : à partir du 6 juin, les taxes seront au taux de 11,8 %, et passeront deux mois plus tard à 47,6 % en moyenne si la Commission ne parvient pas à trouver un accord avec Pékin.
Réactions de Paris et Bruxelles : « Pas de subventions à l'exportation sur le vin européen »
Stéphane Le Foll, le ministre de l'Agriculture français, a assuré que les vins européens ne bénéficiaient d'aucune subvention à l'exportation, réagissant à l'annonce de la Chine sur la tenue d'une enquête antidumping sur les vins de l'Union européenne.
C'est « la politique européenne agricole et viticole aujourd'hui : il n'y a aucune subvention à l'exportation », a déclaré Stéphane Le Foll, à la sortie du conseil des ministres. L'OCM (organisation commune du marché viticole) « ne concerne que l'amélioration de la qualité des vins et l'organisation commerciale ».
« Il faut rester serein. Les discussions s'engagent entre l'Europe et la Chine. Il faut qu'on soit capable de trouver la cohérence nécessaire pour garder un objectif qui est assez simple : l'Europe ne peut rester ouverte sans le respect d'un certain nombre de règles sociales et environnementales et sans règles qui évitent le dumping », a encore dit le responsable français.
« Je comprends l'inquiétude [des viticulteurs] parce que ça a été l'expression d'un grand pays qui est la Chine, où nous avons une présence extrêmement forte et importante. [...] Je ne suis pas là pour inquiéter. Je suis là pour dire que dans cette discussion qui commence entre l'Europe et la Chine, on va tout faire pour trouver la bonne solution, l'équilibre dans nos relations commerciales », a poursuivi Stéphane Le Foll.
« Nous sommes persuadés qu'il n'y a pas de dumping ou de subventions sur les exportations de vins européens vers la Chine», a confirmé le porte-parole de la Commission européenne, Olivier Bailly, lors d'un point de presse. « Nous avons pris note de l'annonce de la Chine. Nous la considérons comme une annonce importante à laquelle nous devons répondre », a-t-il ajouté.
Selon Roger Waite, le porte-parole du commissaire européen à l'Agriculture, « il existe des subventions pour la production de vin en Europe, mais pas pour les exportations ».
« Comme tout membre de l'OMC, la Chine est en droit de lancer une enquête sur le dumping et le subventionnement présumés de la part de l'Europe », a souligné M. Bailly. « Bien sûr, nous soutenons notre industrie vinicole durant cette enquête », qui est suivie « de près » par Bruxelles, a-t-il ajouté.
Réunion d'urgence des 27 sur les négociations commerciales ?
Le président François Hollande a demandé une « réunion » des 27 pays de l'UE pour dégager « une solidarité de point de vue » sur les négociations commerciales avec la Chine, a annoncé la porte-parole du gouvernement français Najat Vallaud-Belkacem, lors du compte-rendu du Conseil des ministres.
« Le président de la République a souhaité que l'on engage une démarche au niveau de la Commission européenne pour qu'une réunion se tienne et qu'en ressorte une solidarité de point de vue de la part des 27 », a-t-elle déclaré.
« Notre cadre d'échanges aujourd'hui n'est pas équilibré », a-t-elle déploré, estimant que cela « implique à l'évidence que nous soyons plus exigeants », ce qui « à 27 est évidemment une force ».
La Commission européenne s'est dite ouverte au dialogue sur la politique commerciale communautaire, voire à la tenue d'un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement, sans toutefois vouloir limiter la thématique aux seuls échanges avec la Chine. Car comme l'a souligné F. Hollande ce mercredi, « d'autres sujets vont arriver bientôt comme l'accord de libre-échange commercial avec les Etats-Unis, sur lesquels il faudra, là encore, que les 27 puissent parler d'une seule voix ».
La politique commerciale est une compétence exclusive de l'UE, sous le contrôle des Etats et du Parlement européen. « Mais je ne pense pas que nous ayons intérêt à ce qu'un conseil soit consacré à un aspect de la politique commerciale », a estimé de son côté Manuel Barroso, président de la Commission européenne, lors d'une conférence de presse commune avec le chef du gouvernement espagnol, Mario Rajoy.
La filière viticole française émue mais pas paniquée
Les acteurs du monde vinicole ont pris « au sérieux » mercredi l'enquête antidumping et un risque de rétorsion commerciale de la Chine sur les vins européens, mais sans paniquer encore pour leur accès à un marché au « potentiel gigantesque » pour le vin français, le Bordeaux en particulier.
« Nous abordons le problème avec beaucoup de sérieux. Nous n'en sommes pas encore aujourd'hui à des menaces de rétorsion mais c'est la suite qui pourrait être donnée », a déclaré, prudent, Allan Sichel, président de la Fédération des négociants en vin de Bordeaux et cadre dirigeant de l'interprofession (CIVB).
La Chine représente le troisième marché à l'exportation pour le vin français, et près de 800 millions d'euros de chiffre d'affaires. Elle « constitue une part importante des débouchés de notre filière et donc des 500.000 emplois de celle-ci », a rappelé la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux français (FEVS), qui a regretté « l'instrumentalisation du secteur » dans un différend commercial (panneaux solaires) qui n'a rien à voir avec le vin.
Chaque année plus importante pour le vin français, la Chine est devenue il y a deux ans la première destination (23 % en 2012) des Bordeaux, lesquels représentent l'essentiel des vins français en Chine, souligne M. Sichel. « Donc c'est Bordeaux qui serait touché en premier » par une hausse des taxes chinoises.
« Cela aurait des répercussions énormes, sur les stocks, donc sur les cours, avec une baisse de prix significative qui serait catastrophique pour la plupart des viticulteurs », ajoute-t-il. En Gironde, la filière génère 55.000 emplois directs ou indirects, selon le CIVB.
L'inquiétude pointe aussi dans le Beaujolais, où la filière pèse 10.000 emplois, et où « la Chine devient un marché de plus en plus stratégique pour l'ensemble des vins », selon Jean Bourjade, délégué général de l'interprofession Interbeaujolais.
d'après l'AFP