Le Brésil au-delà de sa position de pays émergent en puissance, sixième économie mondiale portée par une agriculture de plus en plus compétitive et fortement exportatrice, pourrait dans les années à venir réorienter ses dépenses publiques pour répondre à un besoin de stabilité sociale ou à des exigences environnementales, selon une analyse publiée par le ministère de l'Agriculture (1).
« Face aux limites économiques, sociales et environnementales qui pourraient handicaper sa croissance », le troisième plus grand exportateur agricole au monde et quatrième pour les denrées alimentaires « devra faire des choix pour concilier sécurité alimentaire et énergétique, préservation de l’environnement et affirmation de son statut d’acteur stratégique sur la scène internationale », écrit l'auteur de l'analyse.
Car si le géant sud-américain, jouissant des plus grandes réserves de terres cultivables non cultivées au monde, a « forgé sa place à l’échelle régionale et globale grâce à une agriculture fortement exportatrice, des réformes économiques radicales et une politique active d’ouverture commerciale et d’influence », l'inégalité persistante des revenus, les tensions sociales, les contraintes environnementales, la faiblesse de ses infrastructures, ou encore l'endettement – et en particulier celui de ses agriculteurs – pourraient mettre son dynamisme économique à l'épreuve, estime l'analyse.
Le Brésil, premier producteur et exportateur mondial de nombreuses denrées agricoles (soja, café, sucre de canne, jus d’orange, viandes, tabac, etc.), a élaboré les fondements de son agriculture dans les réformes mises en place dans les années 1990, rappelle l'auteur. Elles visaient « une meilleure stabilité économique, une réduction de l’inflation et un accroissement des échanges ». Sur ces bases, l’agriculture brésilienne a « fortement contribué à la stabilité macroéconomique du pays à travers les flux de devises d’une part, mais aussi par sa contribution à la sécurité énergétique avec le développement de l’éthanol d’autre part », explique l'analyse.
Mais le Brésil a « hérité d’une structure agraire fortement polarisée entre agricultures paysanne et commerciale d’une part, et entre petites et grandes exploitations d’autre part ». Et les « très vastes domaines latifundiaires (plus de 1.000 ha) détenus par un petit nombre de grands propriétaires terriens cohabitent avec de petites exploitations familiales qui représentent plus de 84 % de la population agricole, 38 % de la production et seulement 24 % de la surface », relève-t-elle.
Par ailleurs, 79 % de la valeur de la production agricole du Brésil sont assurés par 5 % des exploitations pratiquant une agriculture très intensive « bénéficiant des revenus de l’exportation (canne à sucre, soja, maïs) ». Et 2 % des exploitations de plus de 500 hectares occupent 55 % des surfaces cultivées.
À l’inverse, les petits exploitants agricoles, qui assurent une production vivrière traditionnelle et emploient plus des trois quarts de la main-d’œuvre agricole, peinent à s’insérer sur les marchés et à dégager des revenus.
Une cohabitation délicate et souvent source d'inégalités et de violence, raconte l'auteur. Les avancées techniques n’ont pas pu régler « le problème de la concentration foncière, de l’usage des terres et les tensions qui en découlent. Car il ne s’agit pas seulement de conflits entre petits et grands agriculteurs mais aussi de conflits d’usage des terres entre indigènes, petits producteurs, activités agricole et forestière, etc. ». Sans parler du « droit d’acquisition de terres brésiliennes » par les firmes étrangères, qui a permis l’achat de 4,5 millions d’hectares (0,5 % du territoire), en majorité par des multinationales, pointe l'analyse. La pratique a du mal à se voir encadrer, tant la réforme actuelle du code forestier (qui fixe les obligations environnementales sur les exploitations agricoles) peine à aboutir « en raison des divergences d’intérêts entre écologistes et grands investisseurs agricoles », remarque l'auteur.
Sur le plan environnemental, détaille la note, le Brésil, sixième émetteur mondial de gaz à effet de serre, notamment par l’exploitation illégale de la forêt (près de la moitié de ses émissions) et l'élevage, envisage de doubler sa production biologique d’ici à 2015. « L’impact des pesticides sur la qualité de l’eau et les niveaux de consommation d’eau pour l’agriculture sont également des enjeux importants pour le système agricole brésilien, peu pris en compte par les politiques publiques ». Cependant, « la déforestation qui a atteint en 2010 son taux le plus bas depuis douze ans », a tout de même progressé de 500 % entre 2010 et 2011, « notamment dans l’État du Mato Grosso, berceau de la culture du soja », remarque l'auteur.
Le gouvernement « semble avoir pris la mesure des risques liés au modèle dominant en orientant davantage sa stratégie en faveur de l’agriculture familiale qui approvisionne le marché domestique », conclut l'analyse. Mais « pour l'heure, les politiques sociales semblent plus favorables à la réduction des inégalités, au prix de mesures coûteuses. Combinée à un vieillissement accéléré de la population, entraînant un ralentissement de la croissance de la production potentielle, cette tendance pourrait amener à moyen terme le Brésil à réorienter ses dépenses publiques au détriment de l’agriculture », et en faveur des politiques sur la santé et les retraites.
Ce qui ne manquera pas d'avoir des impacts sur les relations commerciales que le pays entretient à l'international, via les négociations devant l'OMC, ou à travers le Mercosur et le risque d'une montée du protectionnisme brésilien. « Pour les puissances traditionnelles, dont l’Europe, il semble indispensable de suivre de près la dynamique de ce pays émergent dans un contexte de redéfinition de la Pac et de croissance des échanges commerciaux mondiaux », estime l'auteur.
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(1) Centre d'étude et de prospective du ministère de l'Agriculture, n° 41 mars 2012, par Hiba El Dahr.